Reportage d’un architecte Neversois visitant pour la première fois Amsterdam.
Article de presse sur la ville d’Amsterdam
Parution dans le Journal du Centre, le dimanche 23 aoà »t 2009.
"Ce sont les aspirations de l’être au quotidien et sa façon de gérer le détail qui orientent l’urbanisme d’une ville…"
C’est ce que je me suis dit en parcourant les rues du centre d’Amsterdam, empreint de cette chance de l’homme "neuf" qui se présente pour la première fois dans une ville. Les premières impressions seront les bonnes, car très vite elles s’effaceront, devenant peu à peu "normales" par la capacité d’assimilation qu’a l’être humain…
Premier choc, les vélos. Ils sont partout, ils ont pris la place de la voiture : que d’implications positives en plus de celle de la pollution supprimée ! Le bruit d’abord : tout devient silencieux, calme. Il y a même un problème de remettre en fonctionnement sa vigilance visuelle, car l’habitude de traverser une rue sans regarder parce qu’on n’entend rien ne veut rien dire quant à la circulation des vélos qui heureusement ont des sonnettes. Et je me suis fais prendre plus d’une fois à marcher au milieu d’une rue silencieuse sans voir venir les vélos.
Ensuite, l’espace (re)gagné. Il y a la sécurité de se déplacer mais surtout la joie de sentir que le territoire nous ré appartient, qu’on n’est plus à la solde de la voiture. Il reste bien quelques voitures mais elles se font discrètes et elles n’ont qu’à bien se tenir ! La dignité du piéton est retrouvée. C’est ainsi que l’on verra sur les trottoirs bien sà »r des terrasses de café, mais aussi des apéritifs improvisés, des barbecues ou sporadiquement une rue bloquée pour un repas familial…
Viennent ensuite les réflexions : pourquoi n’adopte t’on pas ce principe partout ? Qu’est-ce qui nous retient ? Y a-t-il trop de côtes dans nos villes ? Nous connaissons pourtant tous des villes plates en France ou ailleurs sans que le vélo n’y soit devenu une priorité.
Alors ? Je pense que c’est du côté culturel que ça se passe. Et de me souvenir de ce livre d’étudiant d’Amos Rapoport *(un bréviaire que nous avaient imposé les enseignants), qui démontrait qu’en des lieux différents de la planète sous des conditions climatiques analogues, l’être humain répond par des solutions différentes.
Et pour le vélo ? l’imposer, l’inciter, le développer ? Je tends ici la perche aux élus…
Les canaux. Ils couvrent le centre ville d’Amsterdam. Lorsqu’on descend du train, c’est "la" surprise, "le plus", la respiration, avec cet avantage qu’ils sont bordés de chaque côté par des voies permettant de les longer à pied et en vélo (ou en voiture). On notera ici la différence d’avec Venise où il s’avère difficile de longer les canaux à pied à cause des maisons qui les bordent directement.
Aux rues des canaux amstellodamois s’ajoutent les arbres qui les accompagnent et qui assurent ombre, fraîcheur et oiseaux. Et puis, viennent les très très nombreuses terrasses de cafés – grandes ou petites - qui donnent ce ton détendu à la ville (mais quand vont-ils au travail ?!).
Ce qui m’a frappé et que ne peuvent pas rendre les cartes postales c’est ce mélange d’intimité, d’échelle humaine et de convivialité. Une transition assez forte pour me faire demander si je n’étais pas dans une ville d’un autre monde, ou d’un autre temps.
Pour les professionnels de l’urbanisme, on notera que le canal est un élément (hautement environnemental !) qui s’ajoute à part entière à l’espace public usuel, souvent réduit à la confrontation minimale : façade, trottoir, chaussée. C’est ici un bonus. Je pense qu’il y aurait lieu de mener une réflexion sur tous les bonus possibles à (ré)introduire dans nos villes.
Autre repère : les percements dans les façades. Dans le centre ancien tout comme dans les logements récents, les baies sont dimensionnées au plus large permettant de capter le plus possible la lumière et le soleil avec de grandes baies vitrées, basses sur allèges et hautes au possible, le tout sans volet. Dans l’appartement que nous avions loué au 59 Lindenstraat, côté rue comme côté cour (appartement traversant) les façades (relativement classiques) étaient percée le plus largement possible avec sur le niveau courant une porte-fenêtre + balcon,une fenêtre juste à côté, des impostes vitrée, et deux fenêtres verticales dans la montée d’escalier de notre dupleix. Douche et WC avec fenêtres bien entendu !
La faible profondeur des bâtiments amstellodamois permet de retrouver fréquemment des appartements traversant très lumineux, dont la fenêtre arrière est visible depuis la rue (contrairement à Montréal ou sur le même mode de répartition, les bâtiments qui sont de grande profondeur imposent aux appartements traversants une pièce aveugle ou de second jour).
Le beau temps durant notre séjour a confirmé cette importance que revêt la lumière et le soleil aux amstellodamois. En effet par beau temps le moindre petit espace recevant le soleil va être mis à profit. Une simple chaise sur le trottoir (il y a si peu de voitures), un recoin sur un balcon, une caisse improvisée en siège le long du canal, un encadrement de fenêtre mis à profit : tout est bon pour profiter du soleil comme une valeur précieuse. On s’y repose mais aussi on y lit,on y étudie, on y discute, on y prend un verre.
La végétation : je vous ai parlé des arbres, mais la ville entière est agrémentée de plantes, souvent laissées dans des pots sur les trottoirs, sur les rebords de fenêtre, ou poussant à même la rue pour monter sur les façades. Point de vol à déplorer, le consensus semble total sur ce point.
Autre détail, l’organisation des logements utilise souvent la verticalité pour distribuer les espaces. Est-ce une façon de rentabiliser l’espace ? Les amstellodamois semblent s’accommoder assez bien de monter aux étages avec des escaliers raides. Ils utilisent également souvent un niveau d’entresol avec un petit escalier extérieur très pentu depuis la rue. Il en résulte des maisons étroites dont les appartements s’établissent souvent sur deux niveaux ou plus.
L’ensemble sur le centre ville ne dépasse pas 5 niveaux et renforce la qualité de l’échelle humaine.
Enfin d’un point de vue social, tout le monde ici est au moins bilingue quand ce n’est pas tri lingue ou plus, de la caissière de magasin au gendarme de service (d’ailleurs peu visible dans la capitale). L’anglais est parlé par presque tous et j’ai pu échanger en français avec plusieurs personnes, un réel plaisir qui participe à la qualité de l’intégration des visiteurs.
Alors ces aspirations que personne ne saurait imposer : vélos, lumière, soleil, absence de volet, plantes à même la rue, escaliers pentus, goà »t des terrasses et des cafés, bilinguisme, auxquelles on ajoutera les canaux, la faible hauteur du bâti, les arbres : tout cela ne fait-il pas l’urbanisme de la ville ?
Nevers, le 17 Aoà »t 2009.
Eric Arsenault, architecte.
*Amos Rapoport : Anthropologie de la maison - Dunod